"Je suis fidèle à votre classe, Monsieur. Je la redoublerai !" André Lévy (né en 1950)
Vivre un redoublement de classe peut être une expérience traumatisante pour les élèves : rester au même niveau scolaire, frein de l'orientation scolaire, ne plus être dans la classe de ses amis, etc., peuvent être source de stigmatisation.
Vous en avez sûrement entendu parler, mais la question du redoublement au sein de l'enseignement scolaire fait débat sur tous les plans, tels que :
Plan éducatif
Est-ce que l'élève comble réellement ses lacunes ?
Plan psychologique
Est-ce que l'élève conserve sa motivation ? Son estime de soi ?
Plan financier
Quel(s) coût(s) pour la famille ? Le canton ? L'intégration plus tardif sur le marché du travail ? combien coute un redoublement à l'état ?
Il s'agit de questions qui préoccupent tant la Confédération que les parents et les enseignants, ainsi que, bien entendu, les premiers concernés, les enfants et adolescents. Ainsi, quel en est le bénéfice pour eux, et, surtout, pour le coût social supporté par la société ? Voici une étude sur le coût du redoublement à l'échelle fédérale.
Le coût estimé du redoublement scolaire
chaque année
Il est à noter que que ce nombre comprend l'enseignement secondaire I et l'enseignement secondaire II, mais pas l'enseignement primaire. Aucune donnée chiffrée n'est mentionnée. Concernant le degré primaire, le rapport1 indique :
Il serait également important de savoir si les coûts permettant d’éviter ces redoublements auraient été inférieurs à ceux engagés pour les redoublements.
CSRE, L’éducation en Suisse – Rapport 2023
En effet, contrairement au degré primaire, les données concernant les coûts du redoublement dans le degré secondaire I et le degré secondaire II mentionnées dans le rapport sont précises :
Degré Secondaire I
300 000 000 chf/an
"les lourdes conséquences financières des années de scolarité répétées (surcoût de plus de 300 millions de francs par an dans les dépenses publiques moyennes d’éducation" (p.105)
Degré Secondaire II
500 000 000 chf/an
"les dépenses publiques directes consacrées à ces redoublements représentent environ un demi-milliard de francs chaque année. À ces dépenses publiques qui se répètent chaque année s’ajoutent les coûts individuels, puisqu’une année de formation supplémentaire raccourcit la période d’activité."
Gardez toutefois en tête qu'il s'agit de données à hauteur fédérale. Aussi, il serait pertinent de vous intéresser au taux de redoublement en Suisse, qui varie d'un canton à l'autre, et même d'un établissement à l'autre. Mais ici, c'est le taux par canton qui importe, car selon son niveau, c'est-à-dire si le taux est plus ou moins élevé, il est plus facile de déterminer quels cantons ont le plus de dépenses publiques liées au redoublement des élèves.
Quoi qu'il en soit, il est évident qu'à la question "combien coute un redoublement à l'état", le chiffre de 800 000 000 chf/an constitue une réponse en-dessous de la réalité, puisque les données sur le coût du redoublement dans le degré primaire n'ont pas été publiés et comptabilisés. En outre, bien que la question de l'arrivée tardive sur le marché du travail pour un.e redoublant.e ait été abordée, cet élément-là n'a pas été chiffré, bien qu'il s'agirait plutôt ici d'un coût supplémentaire pour la famille.
Dans un contexte privé, et en théorie, les familles peuvent espérer échapper au redoublement en ayant recours à du soutien scolaire, à de l'aide aux devoirs et autres cours particuliers avec un enseignant expérimenté ou un tuteur sensibilisé par sa pédagogie aux difficultés scolaires.
L'étude PISA et son impact sur le redoublement
Le plan PISA (« Program for International Student Assessment ») permet d'évaluer depuis l'an 2000 l'efficacité des systèmes éducatifs des différents pays de l'OCDE.
S'intéressant à l'échec scolaire dans l'enseignement, le programme PISA 2022 montre qu'un élève de l'OCDE sur quatre est en dessous du seuil de compétences requis en mathématiques.
des élèves suisses, soit une proportion inférieure à la moyenne de l’OCDE (31 %)
Une petit précision toutefois : l'étude ayant été publiée en 2022, nous sommes donc en période post-covid où l'éducation a été bouleversée avec les cours en ligne, ce qui a mis en lumière la fracture numérique au sein même de chaque pays.
- Mais faut-il accepter le redoublement ?
- Ou s'entêter à prendre des cours particuliers ?
Les analyses issues du rapport expliquent que les systèmes qui pratiquent davantage le redoublement affichent des performances moyennes plus faibles et une influence plus forte du milieu socio-économique sur les résultats des élèves.
Autrement dit, dans les pays où l’on redouble beaucoup, les inégalités scolaires sont plus marquées.
PISA 2022
Mais serait-ce pire encore sans le repiquage ? Difficile à dire dans le cas de l'enseignement suisse, mais certains systèmes éducatifs permettent d’éclairer la question.
Il s'agit de pays comme Singapour, la Corée du Sud ou encore le Japon et ils figurent parmi les systèmes les plus performants du classement PISA 2022. Ce sont donc les pays où le redoublement est rare ou inexistant qui dominent le classement, alors que les systèmes qui y recourent fréquemment affichent généralement des résultats plus faibles et des inégalités plus fortes.
Il faut cependant préciser que des États comme le Japon, très bien classés, disposent d’un système scolaire hautement sélectif, avec des établissements dont le niveau et la réputation varient fortement. De même, ces systèmes éducatifs ne sont pas nécessairement plus épanouissants : la pression scolaire y est extrêmement élevée, et certains de ces pays ont la réputation de causer une forte détresse psychologique chez les jeunes, pouvant mener jusqu'au suicide.
Le programme PISA souligne en revanche l’importance de chercher des alternatives au redoublement, telles que :
Les dispositifs de soutien ciblé
Les aides pédagogiques différenciées
Serait également inefficace le changement d'établissement scolaire pour un élève en difficulté scolaire. Une plus grande liberté pédagogique au sein d'une même structure scolaire, comme en Corée, resterait la panacée.
Des économies progressives en cas de suppression du redoublement
Le rapport 2023 du CSRE sur l'éducation évoque bien entendu la question de l'économie de ces coûts. A vrai dire, la véritable question dans ce rapport, mais également pour n'importe qui s'intéressant au sujet des coûts de redoublement, serait celle-ci :
- Existe-t-il des alternatives pédagogiques moins coûteuses et plus plus efficaces que le redoublement ?
Ainsi, les plus de 800 millions de francs par an qui répondent à la question "combien coute un redoublement à l'état ?" seraient épargnés pour être réaffectés ailleurs. D'ailleurs, l'essentiel d'une scolarité reste toute de même la maîtrise de la lecture, de l'écriture et des chiffres, toutes choses qui s'acquièrent plus facilement dans les petites classes, où l'intellect est encore très réceptif et malléable. Après, il est souvent trop tard. C'est donc au plus tôt qu'il faut essayer d'apporter des solutions efficaces, pour étouffer les difficultés dans l'œuf.
A contrario, supprimer le redoublement n'annihilera pas non plus toutes les difficultés des élèves, qu'il faudra bien aider pour qu'ils puissent suivre en classe ! Cependant, tout rapporter aux chiffres et à l'argent, selon un mode économique utilitariste, ne suffit guère.
Dans la même veine, on pourrait conclure qu'il y aurait bien d'autres moyens de faire des économies : généraliser et faciliter pour les bons élèves le fait de sauter une ou plusieurs classes, ou encore réduire le nombre d'années où l'instruction est obligatoire Faire des économies pour faire des économies ne rime donc pas à grand-chose. On crée plus de problèmes qu'on n'en résout… Un véritable casse-tête pour nos élites !
Mais savez-vous qui a le dernier mot dans le redoublement ?
Les alternatives au redoublement de classe
De nombreux pays d'Europe et de l'OCDE réfléchissent depuis plusieurs années à d'autres solutions permettant de faire passer leurs élèves en classe supérieure.
Si l'on peut calculer l'impact du redoublement sur les finances publiques, il est en outre difficile d'évaluer le coût immatériel du redoublement. Et il est encore plus ardu d'évaluer le bénéfice à retirer de sa suppression.
Dans la plupart des pays, des examens complémentaires de rattrapage sont proposés aux élèves faisant l'objet d'un diagnostic de redoublement. Ceux-ci ont lieu à la fin de l'année scolaire. Parfois, des cours d'été sont organisés pour permettre à l'élève en difficulté de passer à la classe supérieure sans souffrir de ses retards.
C'est ce que pratique des pays comme l'Allemagne, l'Espagne, la Pologne ou encore l'Autriche. C'est le fait de passer en classe supérieure et de poursuivre sa scolarité, tout en assistant à un cours de rattrapage annuel, dans les disciplines où ses résultats ont été jugés insuffisants.
Certains pays pratiquent le soutien scolaire gratuit dès le plus jeune âge, et au sein même de l'école. C'est le cas de la Finlande et de l'Angleterre. En pratique, on refonde la classe par une pédagogie différenciée pour limiter le redoublement.
Redoublement : le poids de l'origine sociale
Ici, on ne parle pas d'argent, ou pas directement. Si certains peinent à passer en classe supérieure, c'est bien parce qu'ils n'arrivent pas à pallier les difficultés de l'école. Ou bien ils ne s'adaptent pas aux exigences de l'école.
Souvent conviés au rattrapage ou exclus des recommandations des profs envers les meilleurs élèves, il subissent conjointement une baisse du niveau d'estime de soi. Cela a également un poids indirect : l'auto-dévaluation, l'acceptation de sa position inférieure, l'intériorisation de la domination sociale dans son habitus. Mais parfois, à ne voir que les relevés de notes, les enseignants se trompent sur l'avenir de leurs élèves.
En outre, le redoublement coûte sans aucun doute plus cher que 800 millions de francs par an à la Confédération. Cela, dans la mesure où des aptitudes et des savoir-faire sont gâchés par le sentiment de frustration relative développé chez les jeunes en difficulté ou en situation d'échec scolaire.
Dès lors que l'on se penche sur le redoublement avant la maturité, on constate en effet un poids important de l'origine sociale. Cela, les sociologues de l'éducation - P. Bourdieu, C. Baudelot et R. Establet, J-C Passeron, R. Boudon, MM Pinçon-Charlot - ont passé leur vie à le démontrer.
Par extrapolation, on se demande si l'école ne serait pas un espace de recrutement et de renouvellement des élites économiques et sociales. En cela, le fait qu'un fils d'enseignant ou de "professions hautement qualifiées" ait statistiquement une meilleure réussite scolaire qu'un fils d'ouvrier ou d'employé. Pour une famille populaire en effet, moins dotée qu'une famille de cadres en capitaux économiques et culturels, faire des études est souvent vu comme un sacrifice financier.
L’Office fédéral de la statistique (2021) a constaté que ce sont surtout les garçons et les élèves issus de milieux défavorisés qui redoublent le plus.
Laura Beaudouin2, 2024
Du coup, les jeunes issus de classes populaires font leur entrée plus prématurément sur le marché de l'emploi : ils font moins d'études supérieures. A l'inverse, les cohortes issues de classes aisées sont davantage stimulées, sollicitées, incitées à fréquenter les lieux culturels (théâtre, cinéma, musée) dès le jeune âge. Ils accumulent ce qu'on appelle du capital culturel, leur permettant d'être à l'abri de l'abandon scolaire, ou ont du moins un parcours scolaire plus épanoui.
Le capital social acquis (dispositions et réseaux leur permettant de se rapprocher des lieux de pouvoir et de prestige) par leurs parents et origine sociale leur permet de ne jamais connaître aucun sentiment injuste d'échec ou de buter sur un plafond de verre. Ils ont encore moins le sentiment d'être des "ratés". Le redoublement ou l'échec scolaire concernent donc moins les enfants issus de classes aisées que ceux dont l'origine sociale est défavorisée.
Sources
- CSRE – Centre suisse de coordination pour la recherche en éducation. L’éducation en Suisse – Rapport 2023. Aarau, CSRE, 2023. PDF. https://www.skbf-csre.ch/fileadmin/files/pdf/bildungsberichte/2023/BiBer_2023_F.pdf
- Beaudouin, Laura. Le redoublement à l’école obligatoire : Enjeux pour les perceptions de soi et les aspirations de formation des élèves en Suisse. Université de Fribourg, 2024. Mémoire de Master. TravaildeMaster_BeaudouinL.pagedegarde.pdfA.pdf
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